De nombreux produits arrivent dans nos assiettes après des circuits longs et cela durant toute l’année. Nous nous sommes adaptés à ce fait et aux modes alimentaires, mais cela ne nous empêche pas de nous interroger sur l’impact environnemental de nos choix alimentaires et plus particulièrement sur celui du transport des denrées.  

Une alimentation de proximité

Nos amis québécois, très sensibles à ce mode de vie « manger local », ont établi qu’un produit qui a été cultivé et transformé dans un rayon de 120 km autour du lieu de consommation peut être considéré comme un produit « local ». D’autres ont doublé cette distance, ce qui est encore acceptable, compte tenu qu’un aliment voyage souvent plus de 2 000 km avant de se trouver sur notre table. Le kilométrage alimentaire consiste à calculer la distance parcourue par un aliment, du champ à l’assiette. Des nombreuses études indiquent que tous les transports ne sont pas égaux écologiquement. L’impact environnemental des modes d’alimentation varie notamment en fonction de la distance et du moyen de transport utilisé. Ainsi le transport par avion, auquel on recourt pour de nombreux aliments frais ou pour les aliments de luxe, est à l’origine d’une quantité importante de rejets de CO2 et participe ainsi au réchauffement climatique. Les rejets de CO2 dus au transport par avion sont dans certains cas 100 fois plus élevés que lorsqu’un même produit est transporté en bateau. Si le transport aérien est de loin le plus polluant, le transport terrestre n’est pas en reste quand il fait augmenter les embouteillages sur les routes et les risques d’accident.

Le Réseau Action Climat France a comparé deux menus types. Le premier, composé d'un litre d'eau de ville, d’une cuisse de poulet, de 200 g de haricots verts frais et d’un quart d'ananas frais de Côte d'Ivoire acheminé par bateau, émet l'équivalent de 0,16 kg de carbone, autant qu'une voiture sur 3 km. Dans le second menu, l'eau est minérale, le bœuf remplace le poulet, les haricots verts sont surgelés et l'ananas transporté par avion. Le chiffre des émissions de carbone explose : 1,53 kg équivalent carbone, soit 25 km en voiture. De quoi revoir nos habitudes alimentaires ! 

Alimentation locale et plus écologique 

L’achat local garantit, en principe, des produits plus frais, parce qu’ils ont moins voyagé. Il encourage aussi le développement économique local. Mais en ce qui concerne l’aspect écologique, l’équation est plus complexe. L’impact environnemental du transport des denrées alimentaires n’est qu’une partie de l’impact environnemental de l’alimentation. D’autres impacts se manifestent, notamment au niveau des différentes étapes de la production agricole et de la transformation (consommation d’eau, d’énergie, de pesticides, émissions de polluants, déchets…). Au-delà du transport, pour calculer le coût environnemental d’un aliment, il faudrait aussi étudier son mode de production. Certaines cultures sont plus énergivores que d’autres. La culture en serre, notamment. Des chercheurs néo-zélandais de l’université Lincoln ont révélé que dans certains cas, il vaudrait mieux importer des aliments que de les produire dans des conditions plus exigeantes. Par exemple, il vaudrait mieux importer des tomates espagnoles plutôt que de les produire en serres en France. Des organisations écologiques estiment qu’il faut « environ 20 fois plus d’énergie » pour cultiver les fraises d’hiver que pour cultiver celles de saison.  

Des produits locaux durant toute l’année !

Oui, si on est prêt à sacrifier les ananas, par exemple, les agrumes, la plupart des épices… Et si nous sommes prêts à cuisiner avec les légumes disponibles l’hiver chez nous. Mais nous savons aussi qu’il est impossible de manger 100 % local pour ceux d’entre nous qui achètent des aliments préparés ou cuisinent peu. Cela dit, nous pourrions en tant que consommateurs avertis contribuer à réduire l’impact environnemental de nos choix alimentaires en portant attention à l’origine des produits et au trajet que ceux-ci ont parcouru jusqu’à notre assiette. Il ne reste pas moins que dans la matière, l’essentiel est d’avoir la volonté de consommer davantage de produits locaux. Notre alimentation doit se composer d’une grande diversité de produits frais, végétaux et animaux, destinés à être accommodés par l’acte culinaire, plutôt que d’une liste de produits transformés souvent sans saveur et sans goût. Le passage à l’alimentation locale et de saison peut se faire grâce à des cours de cuisine et d’apprentissage de la nourriture saine et authentique à l’école, par l’intermédiaire des AOC (ou AOP au niveau européen) reconnaissant des produits de qualité qui fidélisent un marché, des labels qui informent les consommateurs, par les recherches agronomiques, par des campagnes comme « le Printemps Bio », « la semaine du goût » ou par la promotion des produits régionaux. Il s’agit de rétablir le lien direct entre le terroir, la bonne pratique, le savoir, le producteur et le consommateur.

A lire : Les AMAP : un nouveau pacte entre producteurs et consommateurs ? Par Claire Lamine, Editions Yves Michel, 14

Parmi les actions marquantes qui tentent, à leur échelle, d'œuvrer en faveur d'une relocalisation de la production et de la consommation, les AMAP sont exemplaires. Une AMAP, ou Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne, regroupe des consommateurs autour d'un producteur local. Sur la base d'un contrat d'engagement durable, le producteur s'engage à fournir à ces consommateurs un « panier » par semaine, généralement de légumes. De son côté, le consommateur accepte de payer par anticipation et de participer à la mise en vente de la production. Cet ouvrage présente de façon claire les principes de cette forme alternative de consommation et de production.

Rencontre

Alain Passard, grand chef cuisinier

« Et si les chefs cuisinier respectaient le rythme des saisons »

Depuis 30 ans, Alain Passard, grand chef cuisinier, essaie de restituer au produit sa saveur et son authenticité. Il nous régale avec une cuisine légumière créative. Pour lui le légume est un sujet noble et d’inspiration 

Par Ezzedine El Mestiri (Magazine Nouveau Consommateur, http://www.nouveauconsommateur.com/)

Sa passion pour la cuisine est née grâce à sa grand-mère. « Ma famille vivait au rythme du geste, de la main. Chez nous, c’était une forme de langage pour la sculpture, la musique, la couture et la cuisine. Enfant, j’ai longtemps observé ce qui se passait et j’étais fasciné par cette expression humaine : mon père avec les instruments de musique, ma grand-mère avec ses secrets culinaires autour du feu, ma mère avec ses étoffes, ses tissus… J’ai également eu une chance merveilleuse de naître dans un village, La Guerche-de-Bretagne, où la gastronomie et l’artisanat font partie du bien-être. »

L’aboutissement pour le chef fut l’ouverture de son restaurant « L’Arpège » en 1986. Jusqu’en 2000, c’était une rôtisserie. « Les clients venaient pour une cuisine de viandes : gigots d’agneau, ris de veau, côtes de bœuf, volailles… Et puis un jour, je me suis confronté à la panne sèche ! Plus d’inspiration culinaire pour les viandes. Plus de créativité, plus de désir, plus d’envie ! Je ne comprenais pas ce qui se passait en réalité. »

« Nous vivions à cette époque les retombées de la vache folle et autres crises sanitaires. Pour moi, ce fut humainement très douloureux. J’ai vécu cela dans le recul et la réflexion, et un jour une porte s’est ouverte, comme si j’avais fait une rencontre. Je me suis aperçu que je n’avais jamais adressé la parole à un poireau, à une carotte, à un oignon, à une betterave… Je me suis dit que tous ces aliments, je ne les connaissais pas. Pourtant, ils existaient depuis toujours dans ma vie de cuisinier, mais je ne les avais jamais approchés ! Et là, la porte s’est ouverte comme cela ! J’ai retrouvé une lumière, de l’enthousiasme, un plaisir, une envie, une joie à la création, en développant une cuisine légumière. »

En 2002, Alain Passard a mis en place un potager à Fillé-sur-Sarthe pour l’approvisionnement de son restaurant et un autre potager à Buis-sur-Damille.

« Tout est cultivé naturellement. Nous produisons une grande variété de légumes, de fruits, d’aromates devenus rares. Nous créons de grands crus de légumes comme il existe de grands crus de vins. Tout ce qui est produit dans ces potagers est destiné à notre restaurant. Le végétal m’a offert une deuxième vie de cuisine. C’est extraordinaire parce que j’ai vraiment eu le sentiment de repartir de zéro en apprentissage. » 

Alain Passard rappelle que « la cuisine légumière est rythmée par les quatre saisons. C’est quatre cuisines par an, ce qui n’est pas le cas de la cuisine de poissons, de viandes ou de volailles. Vous en avez toute l’année ! Ensuite, la diversité ! Puis, toutes les couleurs, les parfums, les saveurs, ainsi que le dessin, la forme des légumes sont une véritable source d’inspiration. C’est un plaisir, une véritable ivresse. »

Pour le grand chef étoilé, la gastronomie peut participer à cette prise de conscience pour mieux être et manger. « La gastronomie a une place importante parce que si tous les grands chefs cuisiniers se mettaient à créer leur propre potager, ce serait déjà fantastique. Si tous les chefs produisaient 5 ou 6 tonnes de légumes par an, cela ferait déjà pas mal de légumes ! Sur des sols propres. Cela serait un premier pas. C’est une véritable invitation à tous les chefs de cultiver leur propre jardin. Et je suis persuadé, parce que je le vis, que l’on ferait une cuisine différente en sachant d’où viennent les produits. J’apprends à mes jeunes cuisiniers à respecter le rythme des saisons et je le fais également pour mes clients. Si tous les grands chefs, tous les passionnés de cuisine se décidaient à respecter les saisons, ce serait énorme, parce qu’il n’est pas normal que sur certaines grandes tables, on trouve des tomates ou des aubergines toute l’année. »


Par Ezzedine El Mestiri (Magazine Nouveau Consommateur, http://www.nouveauconsommateur.com/)