En effet, la proposition de loi visant à « adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels », car tel est son nom, va réduire drastiquement la marge de manœuvre des magistrats pour les problèmes de bruits de voisinage émanant des activités professionnelles. Le texte prétend simplifier la question des recours pour nuisances anormales de voisinage dès lors que ces nuisances existaient avant l’installation d’un riverain et qu’elles soient conformes à la réglementation.
L’AAbV et la CLCV, lors d’une audition au Sénat, ont réagi négativement à la proposition de loi afin de défendre les victimes des pollutions sonores de voisinage, et ce pour les raisons suivantes :
1) La clause exonératoire de responsabilité est déjà traitée par la réglementation : dans le code de la Construction et l’Habitation de 2011 (art. L.113-8), dans le Code de la Santé publique (Art. R-1336-4) et par la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.
2) La jurisprudence a depuis longtemps pris en compte la question de l’antériorité des activités en tenant compte des situations particulières, alors que la proposition de loi prévoit de systématiser et rigidifier cette notion.
3) La proposition de loi introduit de graves inégalités entre les personnes selon la date et les modalités de leur installation.
4) Elle est en contradiction avec les préoccupations de prévention sanitaire, d’environnement et les enjeux économiques qui y sont liés, et avec l’urgence à développer et mettre en place des actions de prévention primaire pour lutter contre toutes les pollutions et protéger la santé de chacun. Rappelons qu’une étude de l’ADEME et Conseil National du Bruit de 2021 a évalué le coût social annuel du bruit à 147 milliards d’euros en France.
5) Cette loi ne simplifiera rien, bien au contraire. Comment apprécier les dates respectives d’installation ? Comment déterminer si les activités se sont poursuivies dans les mêmes conditions ? Comment dater, mesurer, évaluer et prendre en compte l’aggravation des nuisances ? Comment s’assurer que ces activités s’exercent parfaitement dans le cadre de la réglementation en vigueur ? Comment éviter que, lors d’un changement d’occupant victime du trouble, une activité en profite pour augmenter l’intensité du trouble ? Et bien d’autres questions émergeront au fil du temps. Donc nulle simplification, mais une complexification et un allongement des procédures en justice contraires à l’objectif affiché.
Une évidence s’impose pourtant à l’ensemble des associations, des collectifs de riverains et de certains membres du Conseil National du Bruit qui ont été contactés à ce sujet : il est préférable de laisser la réglementation en l’état. C’était aussi l’avis du Conseil d’État sur la proposition de loi du 16 janvier 2020 qui tentait déjà de mettre en place un dispositif d’exonération de responsabilité en matière de troubles du voisinage.
Celui-ci estimait en effet que « l’état actuel du droit permet (…) d’ores et déjà d’assurer une protection équilibrée des intérêts en présence, y compris à travers l’exception d’antériorité (aussi appelée « théorie de la pré-occupation ») prévue par les dispositions du code de la construction et de l’habitation. Dans cette perspective, il ne paraît pas nécessaire de modifier profondément les équilibres existants, d’autant que l’exclusion générale et absolue prévue par le texte pourrait, dans certains cas, heurter le principe du droit d’agir en responsabilité et plus généralement du droit au recours effectif, en privant les victimes d’un trouble anormal de toute possibilité juridictionnelle de le faire cesser. »*
Nous ne doutons pas que les rédacteurs de la proposition de loi avaient le souci de simplifier, d’harmoniser et de sécuriser, en espérant ainsi résoudre certaines difficultés apparues ici ou là.
Si ce texte devait prospérer, il ne pourrait que conduire à des situations conflictuelles encore plus vives, à un encombrement des tribunaux encore plus important et à un sentiment de régression du droit de la part des justiciables.
De plus, il irait à contre-courant des orientations du 4ème Plan National de Santé-Environnement (2021-2025) qui fixent comme priorité la « Réduction des expositions environnementales affectant la santé humaine et celle des écosystèmes sur l’ensemble du territoire ».
C’est pourquoi nous demandons l’abandon de la proposition de loi et le maintien de la réglementation actuelle.
*Avis du Conseil d’Etat sur la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (16 janvier 2020).
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