C’était une première. Le 25 septembre 2014, le tribunal d’instance de Soissons (Aisne) condamnait la Lyonnaise des eaux à verser 5 680 € de dommages et intérêts à une mère de famille pour lui avoir illégalement coupé l’eau pendant un mois et demi.
Préjudice moral
Depuis, les jugements se suivent et se ressemblent : le 12 novembre 2014, c’est au tour de Veolia d’être sanctionnée, pour des faits identiques, par le tribunal d’instance de Bourges (Cher), à payer 6 620 € à une famille de 5 personnes. En novembre toujours (le 25), la régie publique Noréade est condamnée à son tour par le tribunal de grande instance de Valenciennes (59) à verser 4 000 € pour préjudice moral à une mère de famille avec 4 enfants à charge et doit procéder immédiatement à la réouverture du branchement en eau.
Pour statuer, les juges se sont appuyés sur la loi Brottes du 15 avril 2013 qui modifie l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles et interdit aux fournisseurs d’électricité, de chaleur et de gaz d’interrompre la fourniture de leur service dans une résidence principale, pour non-paiement des factures, du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante et, toute l’année, aux distributeurs d’eau. En clair, il est interdit de couper l’alimentation en eau dans une résidence principale en cas d’impayés.
Habitat collectif
Le dernier jugement rendu le 6 janvier 2015 par le tribunal d’instance de Thionville (Moselle) a, lui, aussi, rappelé ces dispositions. Mais il diffère des autres en ce qu’il met en lumière la situation de locataires (mais des copropriétaires sont aussi concernés) qui payent leurs charges, mais se sont vu couper l’eau… parce que leur propriétaire (ou syndic) n’avaient pas réglé leurs factures.
Soutenue par la Fondation France Libertés, comme tous les plaignants des jugements précédents, une locataire a assigné en référé le syndicat intercommunal fournisseur d’eau et son propriétaire. Elle a toujours réglé son loyer et ses charges. Pourtant, elle a été privée d’eau pendant 2 mois.
Après avoir rappelé les textes légaux, le juge des référés a estimé « que la coupure en alimentation en eau du logement loué par Madame X, pour défaut de paiement des factures, alors que cette dernière travaille à temps partiel et assume la charge de sa fille de 25 ans, sans emploi, constitue un trouble manifestement illicite. » Le juge a aussi pointé « le comportement illite du Syndicat Eau et Assainissement de Fontoy qui n’a pas hésité à procéder à une coupure de l’alimentation en eau de la résidence principale au mépris des règles légales (…) « , a ordonné la réouverture immédiate du branchement en eau sous astreinte de 100 € par jour de retard, et interdit de procéder à une nouvelle coupure pour une durée d’un an. Il a condamné la régie publique – et le propriétaire – à verser respectivement 1000 € et 500 € de dommages et intérêts.
En effet, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent, doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation. L’alimentation en eau ressort de cette obligation.
Le cas d’Arnaud : la Cour de cassation saisie
Le 19 décembre 2014, le tribunal de grande instance d’Amiens (Somme) a examiné la requête d’Arnaud, 26 ans, privé d’eau depuis 19 mois, qui avait assigné son distributeur, la SAUR. Dans une situation financière difficile, Arnaud avait déposé un dossier auprès de la commission de surendettement – jugé recevable – et sollicité de la SAUR des échéanciers pour lui permettre de régler sa facture d’eau de 278,13 €. Une demande à laquelle la SAUR n’a jamais répondu. Mais la société a malgré tout coupé l’eau et a continué à lui envoyer de nouvelles factures.
De son côté, la SAUR a soumis au tribunal une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) estimant que l’article L 115-3 en question manque de clarté et viole en conséquence le principe d’intelligibilité de la loi. Elle estime aussi qu’il entraînerait enfin une violation du principe d’égalité devant la loi, les fournisseurs d’énergie et les distributeurs d’eau, n’étant pas logés à la même enseigne. Le tribunal a estimé que ces arguments n’apparaissaient pas totalement dépourvus de caractère sérieux et a transmis la QPC à la Cour de cassation, qui a 3 mois pour se prononcer. Le jugement a donc été suspendu en attendant la réponse de la haute juridiction. Mais le tribunal a quand même ordonné la réouverture du branchement en eau, sous astreinte.