La loi SRU fait d’ailleurs l’objet d’un consensus large dans le mouvement HLM, qu’il s’agisse des élus locaux, de l’État, des associations ou des bailleurs. Toutefois, les réformes profondes du financement du logement social, du processus d’attribution des logements, et l’affaiblissement de la loi SRU avec le projet de loi 3DS (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration, Simplification), posent un risque majeur sur la pérennité du logement social. Le manque de volonté politique chez certains maires met également un danger l’objectif des 25% dans les zones tendues.
Un bouleversement économique et règlementaire pour le logement social
En septembre 2017, la réduction de 5 euros des APL, suivi en 2018 de leur non-indexation à l’inflation (engendrant donc une baisse automatique de 5 euros chaque année) annonçait une réduction systématique du budget de l’État consacré au logement. Afin que les locataires du parc social ne soient pas pénalisés par cette économie, la loi de finances 2018 introduisait la Réduction de Loyer de Solidarité (RLS).
Sans concertation avec les acteurs du logement social, mal conçue, son effet fut catastrophique pour l’équilibre financier des bailleurs sociaux. Bien que partiellement corrigé à travers la clause de revoyure du 25 avril 2019, l’économie demandée aux bailleurs sociaux demeure massive (1,2 milliards d’euros par an jusqu’en 2022).
Dans son rapport du 22 décembre 2020, la Cour des Comptes estime que la RLS engendre un surcoût par logement de 4,5% du prix total, et une réduction de l’entretien courant de l’ordre de 7%. Si les situations varient entre bailleurs du fait de leur trésorerie, il n’en demeure pas moins clair que ces coupes budgétaires ont un impact direct sur la production de logements sociaux.
Entre 2016 et 2020, la production passe de 128 000 logements à 87 500. C’est un plus-bas historique depuis 15 ans, alors que de nombreux citoyens sont confrontés à la précarité et que plus de 2 millions de personnes sont en attente d’un logement social, dont la grande majorité en zone tendue.
Ce bouleversement économique favorise par conséquent chez les bailleurs deux approches pour maintenir la production de logements sociaux du mieux possible :
- Emprunter auprès des acteurs institutionnels (Caisse des Dépôts, banques)
- Ouvrir son capital à d’autres acteurs afin d’obtenir davantage de liquidités
Si la première semble majoritaire, elle pose de nombreux problèmes. En se reposant davantage sur les emprunts auprès de la Caisse des Dépôts notamment, du fait de taux préférentiels, la diminution des fonds propres ne permet plus de garantir la soutenabilité financière des bailleurs. Or cette situation est assez peu prise en compte par les pouvoirs publics, qui vérifient uniquement les volumes budgétaires globaux dans le programme du logement social. En cas de remontée des taux ou de nouvelles demandes d’économies, certains bailleurs sociaux n’auront plus la capacité d’honorer leurs créances, et seront dissous, posant la question du devenir des logements sociaux en question : vente à la découpe, vente en blocs à des acteurs privés, démolition.
La deuxième option n’est guère meilleure. L’ouverture au capital peut favoriser la création de bailleurs sociaux importants (les groupes CDC Habitat, ICF Habitat, Habitat en Région, Vilogia, ou Batigère par exemple). Or ces groupes, par leur taille, participent moins aux décisions locales et aux objectifs de production spécifiques aux territoires concernés. Une inadéquation entre offres et demandes, couplés aux risques présentés plus-haut, aggraveront le manque de logements abordables dans de nombreuses communes.
Une troisième action est entreprise par les bailleurs pour assurer leur soutenabilité financière : vendre leur patrimoine, ce qui aggrave directement la crise du logement et favorise la hausse des prix.
Par ailleurs, l’augmentation des transferts financiers par les organismes constructeurs comme Action Logement en faveur de l’État ont aggravé cette crise. Le Plan d’Investissement Volontaire, les lois de finances 2020 et 2021 en sont un exemple criant. Le dévoiement de la politique du logement concernant le 1% patronal, la PEEC et le Prêt à Taux Zéro, et le désengagement de l’État (fin des aides à la pierre, baisse des APL, RLS) achèvent cette politique. La politique sociale est systématiquement financée par les loyers des locataires HLM, à contrecourant des pays européens, qui investissent massivement dans le logement social (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas).
Face à cela, la loi ELAN n’apporte pas de solution, et empire les problèmes suscités. Avec la faible offre de logements sociaux, le processus d’attribution des logements pour répondre à la demande devient clé. Or, la réforme des attributions engagée depuis 2019 renforce les phénomènes de ségrégation sociale chez les ménages.
Dans le cadre de la gestion en flux des logements à attribuer, le représentant de l’État (le préfet) dispose automatiquement de 30% des attributions de tous les logements disponibles chez un bailleur. La priorité étant accordée aux demandeurs dits DALO (loi Droit au Logement Opposable de 2007), ménages les plus pauvres, le préfet attribuera automatiquement les logements disponibles à ces ménages. C’est notamment le cas en région Ile-de-France, favorisant de fait une concentration de ces ménages dans un même quartier et donc une ségrégation sociale d’ampleur.
Le principe généraliste du logement social est donc fortement remis en question par cette réforme du processus d’attribution, qui nuit directement à la mixité sociale souhaitée par la loi SRU.
Ces bouleversements économiques et règlementaires s’accompagnent de fortes résistances de la part de certaines communes pour respecter les objectifs de production de logements sociaux.
Le rôle des maires réfractaires dans les communes carencées
Sur les 2091 communes concernées par l’obligation de 25% de logements sociaux en 2020, 1100 communes ne respectent pas les règles, dont près de la moitié sont à plus de 10 points de l’objectif des 25%.
Certaines sont exonérées de pénalité, car elles fournissent un effort de construction de logements sociaux ou que la pénalité serait inférieure à 4000 euros.
Mais 631 communes ne font pas assez d’effort pour créer des logements pour le plus grand nombre et payent donc une pénalité prélevée directement sur leur budget annuel.
Le nombre de logements sociaux manquants pour que les communes déficitaires remplissent leurs obligations légales s’élève à plus de 600 000 logements.
Les communes les plus réfractaires sont situées en PACA (185 000 logements manquants), suivies de l’Île-de-France (150 000) et l’Auvergne-Rhône-Alpes (60 000).
À ce rythme, les communes les plus carencées n’atteindront leur objectif de logements sociaux que dans 30 ans, au mieux.
Nous pourrions penser que les communes versant des pénalités chercheraient à créer de nouveaux logements sociaux pour éviter cette perte d’argent. Mais ce n’est pas le cas.
Malgré les pénalités financières importantes (jusqu’à plus de 5 millions d’euros pour la ville de Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne), ces communes refusent de construire des logements sociaux.
Certains maires s’abritent d’ailleurs sur le manque apparent de foncier pour justifier la difficulté de construction de logements sociaux. Cependant, cette explication est assez fragile.
La ville de Paris a produit plusieurs dizaines de milliers de logements sociaux depuis 2001, en dépit du manque de foncier. Pour cela, elle a imposé un quota de 25% de logements sociaux sur l’ensemble des opérations immobilières (publics ou privés), et a racheté des terrains (nus ou bâtis) appartenant soit à l’État soit à des acteurs privés (bâtiments institutionnels, friches industrielles, copropriétés, etc.). Le nombre de logements sociaux dans la ville se rapproche désormais des 20% de résidences principales. Il est donc tout à fait possible de produire des logements sociaux même si le foncier est rare.
Les refus de logements sociaux ne sont donc pas liés à des raisons pratiques ou de foncier, mais plutôt politiques et antisociales dans ces communes.
Dans les communes disposant d’une classe moyenne supérieure importante (CSP+, professions libérales, retraités aisés, etc.), la présence d’un logement social est mal perçue, du fait d’une image négative ancrée dans les consciences. Un maire préférera donc des projets immobiliers autres que le logement social (bureaux, appartements privés, etc.).
C’est pourtant ignorer le rôle des bailleurs dans la rénovation urbaine, l’amélioration de la maîtrise d’ouvrage, l’usage de matériau écoresponsables, et la réduction des dépenses énergétiques.
Dans le cadre des discussions relatives au projet de loi 3DS, le Sénat a choisi d’assouplir davantage les objectifs de production de logements sociaux. Désormais, le principe des 25% est remis en cause, et n’est plus l’élément déterminant du dispositif de la loi SRU. Selon les territoires, les communes n’auront jamais à atteindre le quota de 25%, obtenant dérogations sur dérogations.
Les actions à entreprendre pour défendre la loi SRU
Face aux enjeux économiques et règlementaires, la CLCV doit se mobiliser afin de faire respecter les objectifs de production de logement social et les besoins de mixité sociale dans les communes carencées. Les actions à entreprendre sont les suivantes :
- Veille annuelle sur le respect des objectifs triennaux de production dans les communes carencées
- Sensibiliser les maires sur les obligations règlementaires en matière de production de logements et les avantages du logement social
- Interpeller régulièrement les maires sur les besoins en logement social, et agir sur chaque opération immobilière en demandant un quota de logements sociaux
- Saisir les préfets en cas de refus des communes afin de reprendre le contrôle de délivrance des permis de construire
- Inciter les pouvoirs publics à relancer le financement de la construction de logements et à pénaliser davantage les communes carencées réfractaires
La liste des communes concernées est disponible sur le site gouvernemental ici
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