Que dit la loi ?
Lors de l’examen de la loi ELAN en 2018, la CLCV a pu introduire un amendement relatif à l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, qui définit les critères de décence du logement. La CLCV a obtenu la rédaction suivante : « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites ». Cela signifie qu’un logement ne peut être loué (et donc donner lieu à la perception d’un loyer) que si et seulement s’il n’y a pas d’espèces nuisibles ou parasites. Sont notamment considérés les rats, cafards, termites, et punaises de lit.
Les bailleurs ont tenté d’argumenter que ce texte se limitait à l’entrée dans les lieux. Une fois que le locataire ait en place, ce serait (selon les bailleurs) sa responsabilité (soit directement soit par une intervention récupérable dans les charges locatives). La CLCV était évidemment opposés à cette interprétation, qui contrevenait à plusieurs jurisprudences concernant d’autres critères de décence (normes électriques, température du logement, manque d’entretien, etc.). Ce serait en effet une clause abusive dans le contrat car le locataire ne peut pas intervenir sur des éléments communs de la chose louée, surtout en cas d’infestation extérieure à son logement.
La CLCV, à ce titre, a obtenu une première réponse confirmant notre analyse. En 2021, l'association a été interrogée par la député Bouzon-Racon dans le cadre d’un rapport parlementaire sur les punaises de lit. Les conclusions du rapport, ainsi qu’une réponse ministérielle, ont considéré que « le maintien d’un logement en état de décence tout au long du bail, et non simplement au moment de la signature initiale du contrat de bail, constitue donc bien une obligation du bailleur (sauf si le bailleur, à qui incombe la charge de la preuve, est en capacité de prouver que la cause de la non-décence est directement imputable au locataire). » Autrement dit, sauf si le bailleur prouve que le locataire est directement responsable de l’infestation de punaises de lit, c’est à lui seul de faire l’intervention pour éliminer ces nuisibles.
C'est déjà déjà une première victoire concernant ce sujet hautement problématique. En effet, même si les punaises de lit ne sont pas un vecteur de maladie, leurs morsures et leur présence engendrent de telles nuisances (physiques, psychologiques, financières) que de nombreux députés, associations, et habitants réclament une intervention de l’État, en les catégorisant comme un problème de santé publique. Le rapport Bouzon-Racon proposait plusieurs solutions, notamment la prise en charge d’une partie des dépenses d’intervention pour les plus modestes, un standard minimum dans l’intervention et une certification des prestataires pour éviter les fraudes. Une campagne de sensibilisation était aussi à l’étude, afin d’éliminer le stigmate lié à ces parasites. La CLCV rappelle que n’importe qui peut en être victime, indépendamment de sa condition sociale, de son hygiène de vie ou de l’état de son logement.
Une décision de justice claire pour les locataires
Cela n’a pas empêché des bailleurs privés et sociaux de maintenir leur position et de réclamer le paiement de charges relatives aux interventions contre les punaises de lit. Des locataires ont donc été contraints de saisir la justice pour trancher le litige. Ce fut notamment le cas à Aix-en-Provence. En 2019, après plusieurs années à demander des interventions contre des infestations multiples auprès de leur bailleur privé et du syndic d’une copropriété de Toulon, des locataires ont saisi le tribunal judiciaire (ex-tribunal d’instance) de la ville pour obtenir la réalisation de cette désinsectisation. Le tribunal avait donné raison aux locataires fin 2019, estimant qu’il s’agit bien d’un problème de décence du logement et que la responsabilité en incombe au bailleur, et non aux locataires. Le bailleur s’est donc exécuté en octobre 2019, mais avait refusé de rembourser les loyers durant la période d’inexécution de la désinsectisation (2017 à 2019). Les locataires ont alors saisi la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour obtenir ce remboursement.
Après un long examen des faits et du droit la cour d’appel a tranché le 6 juillet 2022 en faveur des locataires : « en vertu de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité ou à la santé de ses occupants, et notamment exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites. Il doit également assurer au locataire une jouissance paisible et le garantir contre les vices ou défauts de nature à y faire obstacle, et enfin entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat. Le bailleur n'est pas en revanche responsable des troubles subis par son locataire du fait d'un défaut d'entretien des parties communes d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, s'il justifie avoir accompli toutes les diligences qui lui incombaient à l'égard du syndicat des copropriétaires. »
Le bailleur a par conséquent été condamné au remboursement de 8145 € de loyers pour les mois d’août 2017 à mars 2019, ainsi qu’un préjudice moral de 2000 € et 873 € en réparation du préjudice matériel. Cette décision confirme donc bien la responsabilité exclusive du bailleur en cas d’infestation, en tant que critère de décence du logement. Une décision similaire a été rendue par cette même Cour d’Appel le 6 septembre 2023, confirmant une décision préalable du tribunal judiciaire de Cannes de 2021. Il y a donc désormais deux jurisprudences de même ordre pour obtenir la prise en charge par le bailleur de ce fléau.
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