Monsieur le Président,
Je tenais à prendre le recul nécessaire avant de vous écrire à propos du récent rapport que l’Autorité a publié à propos du tarif réglementé de l’électricité.
Je ne reviendrai pas sur la consultation des associations de consommateurs effectuée dans ce cadre car, disons-le, elle n’était que de pure façade. Pour la clarté des débats, nous rendrons publique cette lettre, passé un délai de courtoisie.
Votre rapport exprime clairement une frustration, celle de constater que près de 60 % des particuliers sont abonnés au tarif réglementé après 17 années d’ouverture à la concurrence. Vous expliquez ce fait par un simple acquis historique, qui semble pourtant fort long, qui résulterait de la « passivité » des consommateurs sujets à des « biais comportementaux ».
Ce jugement normatif d’un comportement de consommation, que d’aucuns pourraient considérer comme méprisant envers ces abonnés, ne me semble pas correspondre au cadre méthodologique d’une Autorité de la concurrence qui n’est pas censée faire le tri entre les consommateurs avisés et non avisés.
Il reflète surtout une nette méconnaissance des préférences du consommateur et du fonctionnement concret du marché de détail.
C’est ainsi que, selon votre rapport, la suppression du tarif réglementé induirait une génération spontanée d’innovations, notamment consacrée à la sophistication tarifaire. Ce type de projection était déjà martelé par les plaidoyers des fournisseurs s’agissant de la mise en place du compteur Linky et les observateurs opérationnels du marché de détail savent ce qu’il en est advenu (un mouvement allant à l’inverse de la sophistication tarifaire, soit des offres par mensualités prédéterminées et utilisées comme prix d’appel).
L’appétence des consommateurs particuliers d’électricité pour la sophistication tarifaire n’est en réalité qu’une projection spéculative, encore une fois très normative.
.En réalité, ce secteur a bien connu un vent important d’innovations à destination des souscripteurs d’offres alternatives, mais qui a concerné les pratiques commerciales déloyales où, il faut l’avouer, la créativité a été au pouvoir. L’association que je préside a ainsi dû engager un grand nombre de procédures judiciaires.
Votre rapport effleure ce sujet et n’en saisit ni les tenants ni les aboutissants.
S’agissant des tenants, c’est la politique d’ouverture maximaliste du marché de détail par divers procédés (autorisation de fourniture très laxiste, absence de mesures prudentielles, droits Arenh susceptibles de faire preuve d’arbitrages et diverses mesures liées à la contestabilité du tarif) qui a largement causé ce phénomène en suscitant l’entrée de plusieurs dizaines de fournisseurs qui ont rarement investi dans la production et dont la plupart ne sont tout simplement pas des professionnels sérieux.
Dans ce contexte, proposer de réformer le droit de la consommation, qui plus est par des mesures « softs » (les lignes directrices de la CRE), n’a qu’un intérêt limité, et il faut au moins admettre qu’avoir eu 60 % de consommateurs au tarif réglementé a constitué la très principale bouée de sauvetage en la matière. Insister, comme le propose le rapport, sur le recours au comparateur revient à ne pas voir que la problématique principale n’est plus le positionnement facial d’une offre mais celle de l’évolution d’un contrat après la souscription. Une large part de votre analyse très «macro» de la dynamique du marché de détail est ainsi invalidée par l’absence de prise en compte de ces phénomènes et les problèmes de confiance qui en ont résulté.
S’agissant des aboutissants, vous persistez à vouloir aménager plus encore la présence de dizaines de fournisseurs en veillant par exemple à qu’ils ne soient pas handicapés dans leur accès au marché de gros par le fait qu’ils sont des courtiers de petites tailles (garanties financières etc.) ! Les entités qualifiées à la police du marché de détail, telles que la CLCV, apprécieront modérément qu’on veuille leur donner plus de travail.
Je ne m’étendrai pas sur votre développement, en page 48, qui estime qu’à cause du tarif réglementé, les autres fournisseurs « disposent de portefeuilles de clients moins fournis que ce dont ils pourraient disposer si les TRV n’existaient pas, renchérissant leur coût d’accès au marché et limitant leurs investissements ». Nous avions déjà compris que votre orientation était d’amener plus de clients vers les offres de la concurrence dans le but… de favoriser la concurrence.
Enfin, s’agissant du strict débat tarifaire, votre propos reprend l’éternel plaidoyer circulaire de l’ouverture du marché. Plusieurs mesures, que nous jugeons excessives, sont venus s’assurer, pour soutenir la concurrence, d’assoir l’objectif d’un tarif réglementé plus cher que les dizaines d’autres offres. Faisant ce constat, vous estimez que le tarif réglementé ne sert à rien et qu’il faut donc le supprimer pour le bien de la concurrence et, supposons, des consommateurs.
Je doute que vous trouviez beaucoup de concitoyens pour soutenir une telle orientation politique mais vous expliquerez peut-être cette opposition par des « biais comportementaux ».
La CLCV, avec toutes les autres associations de consommateurs, continuera de plaider pour que ce service essentiel fasse l’objet d’une tarification raisonnable et stable dans un cadre contractuel sécurisé.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes sincères salutations.
Jean-Yves MANO
Président de la CLCV
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